Le stress vu comme une montagne
Il faut environ 10 jours de marche pour couvrir la distance entre le village de Lukla et le camp de base de l’Everest. Pour certains sportifs, se rendre au camp de base représente une fin en soi, alors que d’autres n’y voient que la porte d’entrée vers un périple qui durera plusieurs mois.
Situé à 5330 mètres d’altitude, ce lieu sûr n’est pas anodin. En effet, le corps humain commence à subir les conséquences physiques (manque d’appétit, désorientation, essoufflement, vomissements, vertige, insomnie, épuisement, etc.) Pour s’acclimater à la haute altitude, les alpinistes doivent donc effectuer plusieurs aller et retours du camp de base aux camps intermédiaires sur la montagne lors de ce périple. C’est pourquoi une montée prend en moyenne deux mois.
Tout comme l’ascension de l’Everest, le niveau de stress fluctue au gré de nos tâches, expériences et relations professionnelles. Lorsque nous sommes en pleine possession de nos moyens, soit en bonne santé physique et mentale, le corps est capable de réguler le stress par lui-même. Généralement, une période de repos permet de faire le plein d’énergie.
L’ascension vers l’épuisement professionnel est insidieuse, mais comme l’être humain s’adapte à toute circonstance, il le fera s’il doit performer dans un état de stress maintenu sur une longue période.
Lorsque notre niveau de stress est maintenu sur une longue période, le corps n’arrive plus à faire des réserves d’énergie comme avant. Le corps est épuisé, vidé, brûlé. Une nuit de sommeil, une fin de semaine, une semaine de vacances ne suffisent plus pour retrouver notre équilibre. Le corps a besoin d’un repos complet sur une longue période pour retrouver sa capacité à réguler le stress efficacement.
Donc, le corps s’habitue au stress, ce qui fait que nous ne portons plus attention aux symptômes qu’il tentait de nous envoyer en guise de signal d’alarme. Malgré le fait que ces signaux d’alarme soient moins présents, les dommages causés par le stress sont toujours là et croissent en silence.
Dans le cadre de ma formation, je fais un parallèle entre les différentes étapes qui mènent à l’épuisement professionnel (burnout) et les divers camps de l’Everest. Tout comme une montée en haute altitude, plus nous évoluons dans notre niveau de stress, plus les symptômes sont grands, dommageables, voire irréversibles. Il est normal que notre niveau de stress augmente dans les diverses situations auxquelles nous sommes confrontés au travail.
En revanche, il est important de mettre en place des moyens pour retrouver son équilibre afin de ne pas maintenir notre stress sur une longue période et d’en subir les conséquences. Ici, l’équilibre peut être imagé par le camp de base de l’Everest. Lorsque votre stress augmente, vous devez redescendre à votre camp de base pour vous ressourcer, pour avoir l’énergie suffisante pour affronter la prochaine situation de stress.
Le camp de base pour le travailleur est la zone d’équilibre dans laquelle il performe sainement. Vous êtes en contrôle de vos émotions de stress. Lorsque vous êtes soumis(e) à une situation toxique, vous êtes capable de gérer le stress et de retrouver votre équilibre par vous‑même. Le flot de stress se régule bien sans même que vous vous en rendiez compte.
En ce sens, vous devez savoir de quoi est composé votre camp de base. Vous devez être en mesure d’identifier de quoi est composé votre village interne pour soutenir votre moi performant et équilibré. Plus vous connaîtrez votre camp base, plus il vous sera facile de le retrouver lors de périodes stressantes.
Maxime Jean, alpiniste d’expérience en haute altitude, me l’a répété à plusieurs reprises : le secret de l’Everest est la préparation! Établir son camp de base interne demande aussi une préparation qui consiste à déterminer les services dont votre corps à besoin pour bien se sentir.
En grande période de stress, on dit souvent de revenir à la base et de s’y limiter pour ne pas s’épuiser davantage. La soi-disant base n’est pas la même pour tous, car nos besoins diffèrent.
Voici quelques questions à vous poser pour vous aider à établir votre camp de base :
1. De quoi est composé mon camp de base?
2. Qu’est-ce qui augmente mon niveau de stress?
3. Comment se manifeste mon stress?
4. Quelles sont les actions que je dois poser pour retrouver mon camp de base?
Cette étape consiste à identifier la façon dont vous performez et ce qui vous permet de bien le faire lorsque vous êtes dans votre zone de saine performance. Pour vous aider, voici quelques pistes de réflexion :
Comment performez-vous? Comment est votre humeur en général? Quelle est votre relation avec vos collègues? Quel est votre niveau d’enthousiasme général? Comment réagissez-vous devant la nouveauté? Quelle est votre relation avec votre supérieur?
De quoi avez-vous besoin pour performer sainement? De combien d’heures de sommeil avez‑vous besoin pour vous sentir reposé(e)? Pratiquez-vous des activités physiques? Mangez‑vous sainement? À combien évaluez-vous votre consommation d’alcool? Avez-vous le temps de cuisiner, de faire des choses qui vous font du bien? Vos objectifs sont-ils clairs? Quelle est votre charge de travail? Quels sont les dossiers qui vous stimulent? Quelle est l’ambiance avec vos collègues? Quel est le style de gestion qui vous stimule?
Oh là! Pas facile celle-là, surtout pour les achievers, les performants, les « rouges », les tireurs d’élite! Ceux qui sont capables de performer en situation de haut niveau de stress ne sont pas plus à l’abri des burnout soi-disant temporaires.
Quels sont les pièges, les éléments qui réussissent à vous décentrer de votre moi performant? Qu’est-ce qui fait que vous dérogez de vos bonnes résolutions, de vos patterns?
Nos besoins étant différents pour performer sainement, les sources qui génèrent du stress seront donc propres à chacun.
Il importe de bien vous connaître afin de reconnaître rapidement les situations qui augmentent votre niveau de stress et d’anxiété, les attitudes, gestes ou paroles des gens qui perturbent votre équilibre, car simplement établir que vous vivez du stress lorsque vous travaillez trop n’est pas suffisant. Vous devez atteindre une certaine profondeur dans votre réflexion pour identifier les vraies causes de votre stress.
Cela dit, vous devriez être capables de dire : Je vis du stress lorsque je ne prends pas assez de pauses, quand j’ai des journées remplies de rencontres une à la suite de l’autre, quand c’est ma semaine de garde des enfants, lorsque mes collègues vont dîner ensemble et qu’ils ne m’invitent pas.
Plus vous irez loin dans votre recherche, plus il vous sera facile de mettre en place des stratégies pour retrouver votre camp de base, comme nous le verrons un peu plus loin.
La liste est longue lorsque nous parlons de symptômes : anxiété, troubles digestifs, irritabilité, manque de concentration, troubles du sommeil, etc. Encore une fois, le fait d’aller chercher une certaine profondeur dans sa réflexion sera bénéfique. Pour vous aider, vous pouvez intégrer la notion du « comment ou de quelle façon » : comment mon anxiété se manifeste-t-elle? Comment est-ce que je parle? De quelle façon est-ce que je m’adresse à mes collègues, à mon équipe? Comment est-ce que je reçois les instructions de mon patron? Comment est-ce que je me lève le matin? Quel est l’état de mon sommeil? Quelle est la qualité de mon travail? Comment est ma digestion? Qu’est-ce que mon corps me demande (p. ex. je sens que je veux manger du sucre)?
Pour vous aider, vous pouvez demander à un collègue ou à un ami s’il est capable de vous dire ce qu’il perçoit de différent chez vous lorsque vous êtes stressé(e).
Tout le monde sait quoi faire, mais si tout le monde le faisait, nous ne serions pas 35 % de travailleurs au bord du burnout.
Donc, le défi consiste ici à mettre en application ce qui nous permet de retrouver notre camp de base, soit activer son GPS!
Personnellement, je trouve que c’est l’étape la plus difficile, car ce n’est pas naturel d’aller dans le sens contraire de la performance. Dans le cadre de ma formation, j’explique que, pour se défendre contre le stress, le corps cherchera à travailler davantage pour reprendre le contrôle. Le fait de prendre un pas de recul pour revenir à son camp de base est donc contre instinctif. Donc, vous devez être votre meilleur(e) ami(e) et/ou le gestionnaire bienveillant envers vous‑même. Si votre ami(e) ou un membre de votre équipe vous disait qu’il ressent les symptômes du stress comme ceux que vous ressentez, que lui diriez-vous? Maintenant, faites‑le.
Je sais, ce n’est pas facile à faire, mais c’est tellement bénéfique lorsqu’on se donne le droit de retrouver son camp de base par de petites actions. Cela peut être très simple : se donner du temps entre chaque rencontre Teams simplement pour respirer, prendre son dîner dehors, méditer quelques minutes, se coucher plus tôt (ne pas commencer une nouvelle série Netflix!), ou au contraire prendre le temps d’écouter une série que pour soi, se faire plaisir, jouer de la musique dix minutes par jour, commander un repas, déjeuner au restaurant la fin de semaine.
Là, nous sommes dans le « soft ». Le plus difficile est lorsque ça touche les relations de travail ou le style de gestion, car cela nous demande de réguler nos émotions et nos actions. Il n’est pas facile de revenir à la base lorsque nous sommes en réaction.
Parfois, notre camp de base se retrouve ailleurs, dans une autre entreprise, sur une autre montagne. Quoi qu’il en soit, l’important est de bien se préparer à toutes nos aventures professionnelles pour retrouver notre zone de saine performance lorsque nous sommes soumis à différentes intempéries. De quoi est composé mon camp de base lorsque je performe sainement? Qu’est-ce qui fait augmenter mon niveau de stress? Comment se manifeste mon stress? Quelles actions puis-je poser pour retrouver mon camp de base?